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107-Amitié, vertu et surdouance

Récemment, j’ai vu un film policier allemand où dans le cadre d’une enquête, on avait demandé à une jeune femme ce que signifie pour elle l’amitié. Elle répondit « Vertrauen und Geborgenheit ». Vertrauen, c’est trust en anglais et confiance en français. Par contre, pour la traduction du mot Geborgenheit, c’est autre chose. Le Larousse traduit par sentiment de sécurité, le dictionnaire Internet Reverso par confort, sécurité, tranquillité. Mais je trouve qu’aucune traduction n’est vraiment bonne, voire plutôt fade à côté du mot Geborgenheit qui allie un sentiment de douceur, de tendresse, de protection, de rêve, d’aspiration en plus de tout ce que proposent les dictionnaires français.

Chez Wikipédia, « l’amitié est une inclination réciproque entre deux personnes n’appartenant pas à la même famille. » L’amitié peut, certes, exister entre frères et sœurs, mais elle est alors plutôt possible, non pas en raison des liens de sang, mais malgré eux.

« L’amitié serait en fait synonyme de la philanthropie grecque: l’inclination au vivre-ensemble. » Qu’avons-nous gardé aujourd’hui de cette belle définition? J’aurais tendance à dire rien du tout, vu que nous avons majoritairement l’inclination au vivre sans et contre les autres, plutôt qu’à vivre ensemble.

Wikipédia poursuit avec une description très simple de ce que représente l’amitié pour les gens d’aujourd’hui, une histoire d’intérêts, bien souvent commerciaux. « La relation d’amitié est aujourd’hui généralement définie comme une sympathie durable entre deux ou plusieurs personnes. Elle naîtrait notamment de la découverte d’affinités ou de points communs: plus les centres d’intérêts communs sont nombreux, plus l’amitié a de chances de devenir forte. Elle implique souvent un partage de valeurs morales communes. » C’est là où le bat blesse pour les hyperphrènes, zapars et autres surdoués: les gens n’ont plus de valeurs morales, ou du moins elles n’ont plus aucun sens pour eux. Alors, les surdoués, avec un esprit de justice très poussé, ne peuvent s’accommoder de telles amitiés misérables de bas intérêts.

Pour poursuivre avec l’encyclopédie populaire, une relation d’amitié peut prendre différentes formes: l’entraide, l’écoute réciproque, l’échange de conseils, le soutien, l’admiration pour l’autre, en passant par le partage de loisirs. Si je regarde mes contacts sociaux passés, cela marchait quand je me rangeais à eux, mais ils ne se rangeaient jamais à moi et ils avaient le culot de m’en faire le reproche, alors évidemment le contact social s’interrompait.

Le grand Aristote avait divisé l’amitié en trois groupes: a) l’amitié par plaisir (qui part des sentiments, donc du cœur), b) l’amitié par intérêt (sans doute la plus fréquente qui part du cerveau et donc du calcul de ce que l’amitié peut rapporter) et c) l’amitié des hommes/femmes de bien, semblables par la vertu (qui est au-dessus des deux autres par sa moralité).

Mon ami Aristote et moi, on est du même avis: la seule véritable amitié est l’amitié vertueuse. Comme lui, je la cherche depuis longtemps, mais ne l’ai pas encore trouvée, et je me demande si, lui, en son temps, avait pu connaître cette joie. On apprend qu’elle peut naître entre deux individus d’« égale vertu » selon le philosophe et se différencie de l’amour, parce que l’amour crée une dépendance entre les individus. Je suis aussi d’accord avec Aristote lorsque il dit que l’ami vertueux (« véritable ») est le seul ami qui permette à un homme/une femme de progresser car l’ami vertueux est en réalité le miroir dans lequel il est possible de se voir tel que l’on est. Là aussi, on voit que les surdoués ne peuvent avoir que des amitiés le plus souvent de qualité insuffisante, car ils se voient eux-mêmes tels qu’ils sont, mais sont obligés de porter un masque au contact avec les autres pour être acceptés. « Cette situation idéale permet alors aux amis de voir leur vertu progresser, leur donnant ainsi accès au bonheur. » Cette notion est la plus importante pour Aristote qui pose l’amitié véritable comme pré-requis indispensable pour accéder au bonheur. Qu’ils sont bêtes, les gens qui ne comprennent pas cela et qui regardent de haut les meurtriers par bas instincts ou par intérêts, alors qu’ils sont du même genre en cherchant leurs amis parmi les gens qui leur rapportent financièrement.

Et comme on parle depuis quelques décennies de l’égalité des droits entre femmes et hommes, il va de soi, que l’on peut aussi parler d’amitié entre homme et femme. Au XIIe siècle, on parlait même de l’amitié comme d’une voie vers la sagesse, bien sûr uniquement au niveau des intellectuels et non pas des serfs qui trimaient dans les champs et ne savaient ni lire, ni écrire, mais qu’est-ce qu’on est loin de la sagesse aujourd’hui!

Un philosophe occitan décédé du nom de René Nelli explique dans une forme de conjugaison au passé que « Les femmes ont longtemps aspiré à être « en amitié », en confiance, avec l’homme, parce qu’elles redoutaient de n’être pour lui qu’un objet sexuel (…). » J’ai l’impression que cela devrait se conjuguer au présent, car c’est encore le cas aujourd’hui, notamment chez les surdoués, dont la plupart, on le sait, ne sont pas mariés et/ou ne vivent pas en couple. Mais il faut reconnaître que c’est depuis que « la femme a recouvré son statut de personne égale que l’amitié peut se développer entre homme et femme, dans le milieu professionnel et aussi dans la sphère du privé. » Et c’est bien parce que je ne supporte pas la dépendance, la soumission que j’ai toujours refusé le mariage, mais jamais l’amitié vraie qui donne la paix et qui est un lourd trésor plus précieux que de l’or.

75-Surdouance, police et respect

Nous sommes lundi, et vendredi dernier, je suis passée au commissariat central de police pour une déposition. Depuis l’affaire Charlie sans doute, il y a un policier avec une kalachnikov à l’entrée, deux policiers à l’accueil et deux autres faisant le va et vient et le contrôle à l’entrée. C’était ce que j’ai vu lorsque je me suis présentée vendredi. Comme je trimbale parfois des ciseaux, parfois un petit couteau pliable dans mon sac à dos, avec du scotch, une gomme et un crayon, j’ai signalé à l’entrée que j’avais mon petit couteau. Bien sûr, on me l’a pris. En sortant, et parce que je n’ai pas l’habitude d’être fouillée à ce poste puisqu’il m’arrive de leur servir d’interprète, je n’ai pas pensé à reprendre mon couteau vendredi.

A 11h30, ce lundi matin, je retourne au commissariat pour le récupérer. Et on me répond qu’on ne l’a plus. Et moi, je me dis que quelqu’un qui consomme à gogo, qui ne donne de valeur à rien et qui ne se préoccupe pas d’autrui va donc sans doute se dire, “dommage, mais je vais m’en acheter un autre et passons à autre chose.”

Police à l'accueil-Bordeaux
La photo de Ouest France représente l’accueil au commissariat de Bordeaux qui ressemble à celui de Strasbourg.

Une surdouée dont le cerveau fonctionne autrement que celui des policiers, hypersensible en plus ou avant tout, ressent et interprète bien sûr les choses autrement. Je leur ai donc expliqué qu’au tribunal il y a un homme qui s’occupe des entrées et des sorties, donc on entre, il contrôle les sacs et on laisse ce qui ne peut entrer au tribunal avec lui. Et en sortant, on repasse devant lui et on reprend ses affaires. En plus, il a une boîte où attendent nos affaires respectives et on peut la voir avec nos objets. Sur ce, le policier à la kalach me répond que je n’ai qu’à aller au tribunal alors! Quelle courtoisie, quel respect!

Ce matin, il y avait le même policier qui était là vendredi après-midi, je ne sais plus si c’est lui qui m’a pris le couteau qui avait été ensuite posé derrière le comptoir, mais il me répondit qu’il ne l’avait plus. Qu’il était sans doute aux objets trouvés. Alors j’ai demandé où ils sont et il m’a répondu en me donnant l’adresse qui est dans un autre quartier. J’ai expliqué que je ne comptais pas aller aux objets trouvés pour ne pas pouvoir le récupérer ensuite. Dans cette conversation, le policier me dit que l’autre jour, quelqu’un avait oublié un couteau suisse, il était plein de graisse, alors il l’a jeté à la poubelle. J’ai failli me mettre à pleurer. Comment peut-on jeter un couteau suisse à la poubelle, juste parce qu’il y a un peu de graisse? Le lecteur normal ne le ressentira pas ainsi, pour moi, c’est un véritable drame, cette histoire de petit couteau, et cette réponse du policier, comme quoi mon petit couteau n’est plus là, n’est pas acceptable pour moi. Je le leur ai dit, mais ils n’en ont que faire, ils ne sont pas dans l’entraide. Pour eux, ne compte que la loi du plus fort. Et pourtant…

Article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dit que:

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Cette déclaration vaut pour tout le monde, aussi des policiers. Ils ne vont pas en mourir s’ils font des efforts, d’autant plus que je n’ai commis aucun crime, aucun délit, au contraire, ce sont les autres qui profitent de ma gentillesse pour m’exploiter.

Je ne peux accepter qu’il ait été jeté à la poubelle, ni qu’il ait été volé par un policier, ni que je n’obtienne pas de réponse satisfaisante. Il y a, certes, des problèmes plus urgents ou plus graves, mais pour moi, c’est très grave, c’est une question de principe, c’est une question de respect, c’est une question d’égalité, c’est une question de droit et je ne supporte pas le mépris de ces policiers pour ce petit couteau. En plus, ils me reprochent d’avoir oublié de le reprendre, comme si eux n’oubliaient jamais, jamais rien. Pour la paix de mon âme, pour le non-gaspillage d’objet, pour le respect d’autrui, j’ai besoin d’une petite enquête interne.

16 janvier: j’avais écrit à l’enquêteur que j’avais rencontré pour voir s’il pouvait faire quelque chose et j’ai eu sa réponse peu de temps après. Il avait retrouvé mon petit couteau. C’est dingue, et peut paraître absurde à certains, mais j’ai sauté de joie, j’ai frappé dans mes mains, mon cœur se réjouissait comme chez une petite gamine!
C’est ça être surdouée, des petites choses deviennent grosses comme des éléphants, que ce soit en positif comme en négatif.